“Die Grenzen meiner Sprache bedeuten die Grenzen meiner Welt.”

D’après la citation de Ludwig Wittgenstein, les limites de notre langage expriment également les limites de notre monde. Rien n’existe en dehors de ce que les mots peuvent décrire ou plus précisément, Wittgenstein n’arrive pas à imaginer quelque chose qui ne peut être exprimée verbalement. Qu’entend-on par-là?

Partons du principe qu’il n’existe aucune réalité objective. Cela signifierait que tout type de réalité est le résultat de notre interprétation, de ce que notre environnement social nous offre. Ce que nous percevons donc comme « réel » exprime ce que nous communiquons (verbalement) à la base de ce que nous éprouvons. Toutefois, ce que nous percevons ne va pas toujours de pair avec ce que nous voulons que les autres pensent. Grâce à la langue, il est donc possible de créer une toute nouvelle réalité.

La capacité d’agir d’un individu dépend fortement de son habilité d’influencer le processus de formation des opinions publiques ergo de sa position d’autorité face au public. Cette position est reliée aux logiques et structures d’un certain cadre dans lequel l’acteur se mouvoit. Le pouvoir discursif ou même le pouvoir en général représente ainsi une forme de hiérarchie entre les participants du discours qui contribuent à tout ordre social.

Dans le cas présent, la politique et les relations internationales forment le plan transnational, un cadre dans lequel il ne suffit pas de bénéficier d’une certaine autorité dans un État, mais où il faut également faire ses preuves auprès d’autres acteurs qui ont une autorité similaire dans leurs pays respectifs. Faire le lien entre le discours, le pouvoir et la langue est maintenant aussi évident qu’important vu que tout type de discours se manifeste à travers le langage. La langue sert non seulement à maintenir les structures du pouvoir mais aussi à les créer en premier lieu.

Ceux qui instrumentalisent le langage et qui développent une stratégie verbale afin d’atteindre leurs objectifs, auront plus de succès que d’autres acteurs. Au sein des relations internationales, ainsi que dans tous les autres secteurs, les mots pèsent plus lourds que leur poids dénotatif.

Cependant, le discours diplomatique est un cas à part. Il est encadré plus que d’autres discours par des règles de choses à faire et à ne surtout pas faire. Il se sert premièrement « d’un corpus de phrases au sens bien établi », une boîte à outils partagée. Dans ce discours, les menaces directes ne sont pas appréciées parce qu’elles ne sont pas utiles afin de trouver communément une solution à un problème. Dans le cadre diplomatique, on s’en tient à la politesse, la civilité et la volonté de trouver des solutions pacifiques pour résoudre les conflits internationaux. Comment faire la différence ?

Au sein des conversations entre divers acteurs du champ international, il n’existe pas qu’un seul niveau sémantique. L’ambiguïté est primordiale dans ce contexte car elle met l’accent sur la pluralité de sens de chaque unité verbale. Grâce à ce fait, les acteurs du domaine international peuvent également transmettre leur état émotionnel ou leur opinion (personnelle) sans se soucier constamment du maintien de leurs relations avec d’autres États. Comme tous les acteurs de ce domaine utilisent le même discours, ils arrivent à transmettre leur intention sans dévoiler directement toute information). En quelque sorte, ils ont encore accès à la même boîte à outils pour exprimer leurs pensées.

La valeur de l’ambiguïté varie entre les différents composants de la communication : Le canal de la conversation, l’énoncé et les locuteurs. Pour tirer avantage de cette ambiguïté, il est possible d’envoyer un message à travers un tiers, ce qui ne met pas en danger l’image du mandant. En effet, le fait d’utiliser un « intermédiaire » peut avoir des avantages dans la mesure où, si l’information ne devait pas aboutir de manière attendue, cela serait sans conséquence pour l’émetteur du message qui pourrait rejeter la faute en toute tranquillité sur une mauvaise communication de l’élément intermédiaire.

Un autre exemple classique d’instrumentalisation de la langue est la propagande politique utilisée depuis des centaines d’années, perfectionnée par les Nazis comme décrit par Victor Klemperer dans Lingua Tertii Imperii. La langue joue également un rôle constituant dans toute sorte de légitimation d’intervention unilatérale ou, inversement parlant, condamne de façon multilatérale les actions des acteurs concurrents ou même adverses. En travaillant sur sa propre image internationale, un État peut exercer une influence sur le comportement d’un autre. En diplomatie, il existe une liberté relative donnant un sens nouveau aux mots. Ces tactiques d’affectation de valeur sont appelées « couplage » et « découplage » et très souvent utilisées par les acteurs pour influencer l’image que l’on a d’eux.

L’instrumentalisation du langage dans le contexte international est donc, malgré les restrictions existantes, possible et bien utilisée en ce qui concerne son pouvoir discursif.

 

Edited by Anne-Sophie Frayssinet; Photo credit: Gerd Altmann, Pixabay