L’hiver semblait porter une chaleur et un élan. Au début du mois de janvier 2024, Élisabeth Borne, à la tête d’un gouvernement déjà vieux de 22 mois, remettait sa démission au président de la République, qui, selon un arrangement constitutionnel bien ficelé, la lui avait préalablement requise. La première ministre, froide et patiente, méthodique et exigeante dans son usage résolu de l’article 49.3, payait le prix de vifs désaccords dans son propre camp au sujet d’une loi sur l’immigration récemment adoptée. Par-dessus tout cependant, elle succombait à cette atmosphère implacable d’ennui et de lassitude qui se répand si facilement dans le champ politique, à cette loi cruelle qui fait trop souvent du silence, de la patience et de l’habitude les moteurs d’une subite disparition. Alors qu’Élisabeth Borne poursuivait dans une supposée homéostasie, un enthousiasme croissant s’agrégeait à l’inverse autour de Gabriel
Attal, alors à la tête du ministère de l’éducation nationale, dont les promesses empressées sur le rétablissement de l’autorité à l’école et la refondation ambitieuse des savoirs excitaient des esprits avides de grands bouleversements. Mécanique fatale et irrésistible des humeurs politiques, qui abolit et détruit ce qui est inapte à embraser l’attention et promeut sans concession ce qui l’emporte. On nomma Gabriel Attal premier ministre. Le public fut, un temps, stimulé. Le cycle perpétuel suivait son cours.
Attal est le nom d’un météore politique. Son ascension rapide a pris racine lorsqu’il fut nommé à 24 ans à un poste de conseiller ministériel, point d’observation stratégique des arcanes de ces grands ensembles bureaucratiques de la République française dans lesquels la loi se prépare, quand elle ne se perd pas. Depuis le conseil municipal de Vanves, il noua des liens auprès de ces élus locaux qu’on dit plus proches du peuple que les technocrates parisiens. Élu député des Hauts-de-Seine en 2017, c’est ensuite au poste acrobatique et surexposé de porte-parole du gouvernement que Gabriel Attal a brillé. Là, les contacts avec les journalistes se sont multipliés, lui constituant un précieux et dense réseau médiatique. En janvier 2024, aboutissement logique de cette succession régulière de promotions et d’habiles manœuvres, il fut donc nommé à la tête du gouvernement français.
L’ATTALISME EST AVANT TOUT UN MACRONISME RELUISANT, LEQUEL EST PRÉTENDUMENT UNE GARANTIE RÉVOLUTIONNAIRE.
Voilà la trajectoire, mais quelle fut l’impulsion ? Quelle approche idéologique a soutenu ce parcours exemplaire, si tant est que l’idéologie est véritablement un prérequis du succès politique ? Son discours de politique générale, prononcé fin janvier 2024, est à cet égard instructif. Attal y déploie avec naturel les grandes lignes de la doctrine macronienne, dont il est le produit et l’incarnation, doctrine d’une impression de mouvement. Les formules sont connues, elles frappent juste : il s’agit de regarder de l’avant, de lutter contre la morne fixation, de rejeter l’immobilisme. Il va jusqu’à rappeler avec lucidité son année de naissance, 1989, année du bicentenaire de la Révolution. L’attalisme est avant tout un macronisme reluisant, lequel est prétendument une garantie révolutionnaire.
En nommant Attal à Matignon, il s’agissait pour le président de renouveler l’espoir, de convoquer les souvenirs paisibles du printemps 2017, de réinsuffler une entrainante dynamique du changement. Par imitation de son succès présidentiel fulgurant, par reproduction, Emmanuel Macron a voulu créer en Attal un clone politique, au risque prévisible que la créature émancipée ne fasse un jour de l’ombre au génie créateur. La personnalité d’Attal semblait rééditer cet élitisme ouvert et serein, heureux dans la mondialisation et pétri de vertu ruisselante, qui a fait la victoire du macronisme : un nouvel horizon de gestion des affaires qui promettait de tourner le dos aux pratiques engoncées de la noblesse des administrateurs d’État et autres pesanteurs bureaucratiques. Issu de l’École alsacienne et diplômé de Sciences Po, Attal est du réseau des élites, sans toutefois porter le lourd et embarrassant titre d’énarque.
Une analyse furtive mais précise du succès de Gabriel Attal ne peut ignorer les aspects plus immédiats du personnage, autrement dit, son fort charisme. La politique est affaire d’apparence et de forme. Jeune et beau, usant avec aisance de cette charmante esquisse du sourire, portant le costume bleu et le costume gris avec une même élégance, il présente bien et inspire confiance. Toute psychologie humaine s’ancre dans une certaine appréciation de l’apparence physique et de la maîtrise oratoire. Or le verbe est précis et la rhétorique cadencée chez cet amateur de théâtre qui à 9 ans déjà endossait les premiers rôles dans les pièces de fin d’année de son école, comme l’atteste un reportage de France 3 de novembre 1998. Molière est bon pédagogue. Attal fut bon écolier.
Voici donc ramassés quelques éléments du portrait d’un homme politique habile. Président du parti Renaissance, il compte en faire un tremplin pour sa plus-que-probable candidature à la présidentielle de 2027. Ou bien préférera-t-il d’abord viser la mairie de Paris en 2026 ? Il sera, dans tous les cas, sous quelque forme que ce soit, présent et actif dans le paysage politique français des années à venir. La lutte contre Édouard Philippe pour l’hégémonie du courant centriste conservateur est lancée. Une question demeure cependant, d’importance idéologique et stratégique. La dialectique électorale telle qu’imaginée par les forces à l’œuvre est-elle tenable, ou prouvera-t-elle au contraire ses faiblesses lors des prochaines élections ? Cette mise en scène d’un combat simplifié opposant le mouvement, le multilatéralisme, l’Europe comme fer de lance du libre-échange d’un côté, à l’enracinement dans la tradition, les valeurs conservatrices et une économie protectionniste de l’autre, a permis à Emmanuel Macron de remporter deux mandats. Attal s’est jusqu’ici inscrit prudemment dans l’éthique macroniste du mouvement créateur contre le réflexe de l’enracinement et du statisme. Or l’en-même-temps est une indécision, plus qu’il n’est le soi-disant dépassement de tendances contraires. Prendre parti et assumer une orientation, clarifier la ligne idéologique, voilà les enjeux auxquels seront confrontés avant 2027 les héritiers impatients du macronisme, Attal au premier chef.